Projet Zebra : trois questions à Jean-Paul Moulin, directeur scientifique matériaux chez Arkema
Le projet Zebra (Zero wastE Blade ReseArch) rassemble un consortium d’acteurs engagés dans le développement du recyclage des pales d’éoliennes. Les entreprises impliquées sont parvenues à mettre au point une solution favorisant le recyclage en boucle fermée. Le point avec Jean-Paul Moulin, directeur scientifique matériaux chez Arkema.
Dirigé par l’Institut de Recherche Technologique français, IRT Jules Verne, le projet Zebra œuvre depuis 2020 à concevoir la première pale d’éolienne 100 % recyclable. Arkema y intervient en tant que fournisseur de résine, Owens Corning de fibre de verre, LM Wind Power fabrique les pales, Suez intervient sur le démantèlement des pales en fin de vie et leur broyage, le centre R&D Canoe apporte son expertise des technologies de recyclage et Engie est en charge de l’analyse du cycle de vie. Jean-Paul Moulin, directeur scientifique matériaux chez Arkema, revient pour JEC Composites Magazine sur les dernières avancées du projet.
JEC Composites Magazine : A quelle étape en est le projet Zebra ?
Jean-Paul Moulin : Le projet Zebra vient de démontrer qu’il est possible de fabriquer des pales d’éoliennes entièrement recyclables et ce, en boucle fermée. On parle de boucle fermée car le recours au recyclage chimique par thermolyse permet de récupérer la résine et la fibre de verre qui pourront être réintégrées dans de nouvelles éoliennes.
Notre projet adresse le marché de l’éolien dans sa globalité. Il concerne tous les types de pales d’éoliennes, y compris celles de très grand format pour l’offshore.
Zebra est avant tout un programme de R&D. Nous avons d’abord démontré grâce à des tests sur échantillons que la fabrication de pales recyclables était possible puis avons fabriqué des pales de 62 et 77 mètres. Ces pales sont construites avec la résine Elium d’Arkema et les tissus Ultrablade d’Owens Corning. L’une des deux pales comprend un élément structurel majeur fabriqué avec de la résine Elium recyclée. Elles ont les propriétés aérodynamiques et mécaniques requises.
Nous allons maintenant fabriquer des pales d’éoliennes pour les faire homologuer. C’est un processus assez long, qui peut prendre 2 ou 3 ans. Il s’agit de fabriquer des pales, les monter sur une turbine, puis valider leur fonctionnement en vraies conditions. Les procédés de fabrication doivent être représentatifs d’une fabrication industrielle. L’utilisation de résine Elium nécessite quelques adaptations sur les alimentations en résines et les zones où l’on infuse mais cela reste très proche des procédés traditionnels.
Deux types de recyclage interviennent dans le traitement des pales, pourquoi ?
J.-P. M. : Deux grands types de recyclage sont effectivement utilisés dans ce projet, le recyclage mécanique praticable àcourt terme pour les rebuts de production, et le recyclage chimique par thermolyse qui permettra de traiter de plus grands volumes en fin de vie des pales d’éoliennes. Les parties composites des nacelles d’éoliennes peuvent être également concernées. Les pièces recyclées mécaniquement pourront être converties en compounds qui seront utilisés dans d’autres applications ou pour fabriquer des pièces ou des renforts qui entreront à nouveau dans la composition des éoliennes. On parle alors plutôt de downcycling car les fibres coupées lors du compoundage n’ont plus la même performance. Elium est un thermoplastique qui pourra en effet être utilisé dans d’autres applications lorsque recyclé mécaniquement.
Le recyclage chimique nous permet de récupérer la résine et la fibre de verre pour les réintégrer tous deux dans de nouvelles éoliennes. On peut alors parler d’upcycling. Lorsque la résine est chauffée entre 300 et 400 degrés, elle se décompose en son monomère d’origine, le méthacrylate de méthyle (MMA), permettant ainsi de produire une nouvelle résine pour faire des pales. Ce mode de recyclage a d’abord été testé sur des échantillons en laboratoire puis sur de vraies pièces de pales, atteignant un rendement de 75 %, ce qui est déjà excellent pour un composite. Il est aussi rendu possible par le développement d’une colle Bostik compatible pour l’assemblage des pales. Mais nous travaillons déjà sur plusieurs pistes qui nous permettront d’obtenir un rendement supérieur à 90 %, qui est le rendement que l’on peut obtenir sur la résine seule.
Quels sont les avantages écologiques et économiques de la solution proposée par Zebra ?
J.-P. M. : L’intérêt écologique réside en premier lieu dans le fait que l’éolienne est un moyen produire une électricité décarbonée nécessaire à la transition écologique. Il existe par ailleurs des avantages en termes de fabrication. La résine thermoplastique, plus facilement recyclable en fin de vie du produit, nous permet en effet de travailler avec des températures plus basses que celles exigées par les résines actuelles thermodurcissables, engendrant des réductions d’énergie consommée.
Le recyclage à plus basse température et sans solvants est par ailleurs plus économique que les solutions existantes pour ces mêmes thermodurcissables. Il nous permet de récupérer des renforts propres et des monomères réutilisables sans altération de leurs propriétés. Owens Corning récupère ainsi les fibres de verre qu’il pourra refondre et réintégrer dans sa gamme de produits Sustaina.
La durée de vie d’une éolienne est théoriquement d’une trentaine d’années, le business model qui découlera du projet Zebra reste donc à mettre en place, nous ne sommes qu’au début de la boucle de circularité.
Photo d’en-tête : IRT Jules-Vernes